Burn-out
hospitaliers : l’austérité est en train d’asphyxier le personnel de nos
hôpitaux
12 avril 2017 / par Auguste Bergot
Des témoignages
de divers acteurs liés aux institutions de santé relayés par un article de
Bastamag font état d’une véritable détresse dans les hôpitaux. Suppression de
postes, coupes budgétaires, intensification des rythmes sont à l’origine d’une
diminution de la qualité des soins mais aussi de la santé des soignants.
Pourtant, les mesures d’austérité risquent de se poursuivre malgré le cri
d’alerte de ces hommes et femmes porteuses de vie.
L’hôpital
n’est pas une entreprise
Des journées
de plus de 10h, sans pause, sans pouvoir manger ni aller aux toilettes, à
courir d’un patient à l’autre, hiérarchiser le niveau de besoin des patients,
faire le travail d’un collègue arrêté parce qu’il a fait un burn-out, sacrifier
sa vie de famille… : voilà le quotidien de nos soignants. Pour eux, cette
intenable intensification des rythmes de travail dure depuis près de quinze
ans. D’abord ça a été le passage aux 35 heures qui n’a pas été accompagné des
embauches nécessaires, puis ça a été l’instauration de la tarification à
l’activité, la « T2A », qui a fait prévaloir une logique de résultats
sur une logique de moyens soit, a fait basculer l’hôpital dans un modèle de
gestion entrepreneuriale. « Chaque établissement est désormais financé en
fonction de sa production d’actes de soins et de sa rentabilité, détaille
la CGT.
Il faut
produire un nombre d’actes de soins suffisant, et diminuer les coûts. Donc
faire plus avec moins. » Philippe Batifoulier, professeur d’économie à
l’université Paris XIII et membre du collectif des « économistes
atterrés » rajoute que « L’idée de la T2A, c’est de « normer »
les coûts et de standardiser les soins. On déclare par exemple qu’une toilette
dure sept minutes, en ignorant le malade et la réalité. » Mais sept
minutes pour une toilette, c’est impensable pour les soignants s’ils veulent
faire un travail correct et décent pour les patients. Certains patients
demandent de l’attention, ou de ne pas être brusqués, et les toilettes peuvent
prendre jusqu’à quarante-cinq minutes.
Les soignants
travaillent à des rythmes infernaux… gratuitement
Les soignants
sont donc contraints de travailler parfois douze ou treize heures de suite, de
revenir sur leurs jours de repos ou pendant leurs vacances, et tout cela sans
qu’ils puissent récupérer ces jours qui s’accumulent au fur et à mesure et qui
ne sont pas dédommagés financièrement. D’après Olivier Mans, de la fédération
nationale Sud santé sociaux, « Si l’AP-HP [l’Assistance publique des
hôpitaux de Paris] payait tout ce qu’elle doit aux infirmières, elle devrait
débourser 75 millions d’euros. » Face à ces rythmes de vie infernaux, les
soignants sont impuissants et cherchent à tenir le coup dans ces conditions
jusqu’à l’écroulement. « Les directions parient sur la pression des
objectifs et sur la conscience professionnelle des agents, très élevée dans le
domaine du soin, notamment parmi les infirmières », rapporte un expert en
santé au travail. « Le problème, c’est qu’avec le durcissement des
conditions de travail et l’épuisement chronique des équipes, l’absentéisme
augmente, reprend Jean Vignes, secrétaire général de la fédération Sud santé
sociaux. Le recours à l’auto-remplacement est très élevé. »
Dépressions,
suicides et baisses de la qualité des soins
Les
conséquences de ces rythmes de travail sont nombreuses et toutes dramatiques.
Les soignants travaillent à un rythme effréné, sacrifiant leurs vies de
famille, jusqu’à ce qu’ils tombent en dépression. « On arrive au bout du
surinvestissement du personnel, qui fait que l’hôpital tient
encore, ajoute ThierryAmouroux. Depuis juin 2016, on a eu sept
suicides chez les infirmiers. » Même constat du côté des
médecins. « Les médecins tiennent le coup le plus longtemps possible,
puis ils s’écroulent, carbonisés. J’en vois qui sont arrêtés depuis des mois et
qui ne peuvent plus parler de leur métier sans se mettre à pleurer. C’est très
violent. » Par ailleurs, le surmenage au travail a aussi des conséquences
sur les capacités cognitives des soignants. Une expertise réalisée par l’AP-HP
en 2015 a montré que « rester éveillé douze à dix-neuf heures consécutives
ralentit les fonctions cognitives et le temps de réaction selon un niveau
équivalent à une alcoolémie de 0,5g ». En résulte une augmentation des
erreurs médicales et donc une baisse des qualités de soin voire, plus
dramatique, un accroissement de la mortalité parmi les patients opérés.
« Les médecins tiennent le coup le plus
longtemps possible, puis ils s’écroulent, carbonisés. J’en vois qui sont
arrêtés depuis des mois et qui ne peuvent plus parler de leur métier sans se
mettre à pleurer. C’est très violent. »
Enfin, la
cohésion d’équipe pâtit également de ces rythmes de travail : le temps de
la pause entre collègues n’existe quasiment plus, un temps pourtant important
pour solidifier les liens entre les soignants mais également pour transmettre
des compétences. « Les anciennes ne peuvent plus prendre le temps de
transmettre ce qu’elles savent. Elles constatent, désolées, que les plus jeunes
galèrent à comprendre des choses qu’elles auraient pu leur expliquer en
quelques jours, si elles avaient eu le temps de le faire… », rapporte un
expert en santé au travail.
L’austérité
continue
Alors que les
équipes hospitalières avaient espéré que Marisol Touraine reviendrait sur la
T2A et allégerait le poids qui pèse de plus en plus sur les soignants, c’est
tout l’inverse qui s’est produit, et la situation est loin de s’être améliorée,
à l’inverse elle tend à se détériorer. En effet, le 5 décembre a été voté
« dans un hémicycle aux trois-quarts vide » comme le souligne bien
bastamag.net de nouvelles coupes dans le budget de la Santé. De même, les
groupements hospitaliers de territoires (GHT) dont la mise en place est
présentée comme une « modernisation de notre système de santé (…) pour
garantir l’accès aux soins de tous », sont largement craints par les
équipes de santé du fait de l’éloignement grandissant entre l’hôpital et les
usagers, mais aussi du fait que le personnel devra être mobile et n’aura pas d’équipe
fixe.
La question
de l’avenir de nos hôpitaux qui est un enjeu de la présidentielle doit être
entendue et ne peut plus être négligée. Pourquoi ne traitons-nous pas comme il
se doit les personnes qui sauvent nos vies ? Comment François Fillon
peut-il soutenir devant eux qu’ils devront se serrer la ceinture au nom de
l’austérité ? Nous sommes en train d’asphyxier ceux qui nous soignent, il
est grand temps que leurs conditions de travail redeviennent viables avant que
la situation ne soit plus dramatique encore.
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